Le 28 décembre 2024, Peter Vail, grand maître de la sédimentologie et en particulier de la stratigraphie séquentielle, nous a quittés. Dans cet article, l’ASF lui rend un dernier hommage, à travers les mots de Jean-Loup Rubino, qui a eu la chance de travailler avec lui à plusieurs reprises au cours de sa carrière.
« Peter Vail est né le 13 janvier 1930 à New York, et s’est éteint le 28 décembre 2024 à l’âge de 94 ans à Houston. C’était un géologue et géophysicien américain. Il est très connu pour avoir publié avec des co-auteurs une charte stratigraphique des cycles eustatiques (la courbe de Haq) et avoir été un des fondateurs de la théorie unifiée de la Stratigraphie Sismique et Séquentielle.
Il avait obtenu son Bachelor à Darmouth College en 1952 puis son Master et sa thèse à l’Université de Northwestern en 1956. Il avait commencé sa carrière à Tulsa en Oklahoma, où il travaillait pour Carter Oil Company. Suite à la fusion entre Carter Oil, Humble Oil et Esso, il devient géologue chez Exxon ou il travailla jusqu’en 1986 en tant que Senior Research Scientist au sein du Laboratoire EPR Co à Houston.
Après sa retraite d’Exxon, il a commencé une seconde carrière à l’Université de Rice, toujours à Houston, où il a poursuivi ses travaux jusqu’en 2001 en ayant la chaire W. Maurice Ewing de Professeur d’Océanographie. Enfin, il a créé une petite compagnie pétrolière : Peter R. Vail Oil and Gas and Consulting and Investing Company, où il valorisait sa grande expérience.
Très influencé par les cycles stratigraphiques globaux induits par la tectonique, tels que les concevaient Larry Sloss (1963) et Bill Krumbein, qui enseignaient à Northwestern, il a été chargé, lors de son intégration à Exxon, de développer un programme de recherche sur la stratigraphie sismique et la future charte eustatique avec une équipe de géophysiciens et de biostratigraphes. Ceci débuta au tournant des années 1970. Mais dès 1966, il avait déjà compris avec Wibur la valeur des onlaps pour définir les discordances et les cycles stratigraphiques globaux. Outre le célèbre Mémoire n°26 de l’AAPG en 1977 ou sont définies les bases de la stratigraphie sismique, il a co-publié les premiers papiers en 1974 ; puis différentes versions de la charte dès 1979 dans Oceanus, jusqu’à la version de la charte de Haq et al. publiée d’abord dans Science en 1987 et dans la Special Publication n° 42 SEPM en 1988.
Outre l’ensemble des profils sismiques et forages dont disposait Exxon, Peter Vail a, avec son équipe, fait le tour du monde des bassins sédimentaires en revisitant les stratotypes ou les coupes de référence avec les biostratigraphes les plus pointus afin de calibrer de façon très précise la charte entre le Trias et le Quaternaire, en utilisant au maximum les possibilités de la stratigraphie conventionnelle basée sur les faunes (macro et micro) ainsi que la magnétostratigraphie.
Je l’avais rencontré une première fois lors d’une conférence à l’Ecole du Pétrole en 1982, où il était venu nous parler de la signification des niveaux de condensation par rapport aux variations relatives du niveau marin. Puis en 1985, j’ai eu l’honneur de travailler avec lui et son équipe, notamment Yan Hardenbol, d’abord dans le Bassin vocontien où il était venu essayer de calibrer l’Albien et le Cénomanien, avec notamment l’ammonitologue Robert Busnardo de l’Université de Lyon, accompagné d’André Strasser de l’Université de Fribourg, et de Bernard Clavel et Michel Delamette de Genève.
Cette visite faisait suite à une première visite française dans le bassin du SE, au printemps 1985, où ils avaient visité les stratotypes du Berriasien et du Barrémien ainsi que des coupes dans le Valanginien et l’Hauterivien pélagique afin de compléter les stratotypes suisses qui était apparus incomplets (séries de plateforme). Ensuite j’ai fait une seconde tournée avec lui dans les Cordillères Bétiques en 1987, sur la célèbre coupe de Caravaca où nous avons examiné le Valanginien et l’Hauterivien, ainsi que la limite K/T avec le niveau à Iridium en compagnie de Hoodmaker, J.E. Van Hinte et de Tan Kate d’Amsterdam.
En 1989, il a participé à l’excursion de l’ASF que nous avions organisée avec Serge Ferry dans le cadre du congrès GSGP de Digne sur le Bassin Vocontien (Livret Guide ASF N° 12 en ligne), où nous appliquions ses concepts aux séries du Jurassique et du Crétacé Inferieur.
Il aimait particulièrement la France et les Grands vins de Bourgogne ! Il avait passé un trimestre sabbatique à l’Ecole des Mines de Paris à l’invitation de P.-C. de Graciansky, qui fut malheureusement interrompu par un AVC, mais qui donna lieu à une actualisation de la charte appliquée aux bassins européens (Hardenbol et al., 1998).
Il a très fortement influencé la stratigraphie au cours de ces 50 dernières années et les concepts dont il est à l’origine sont utilisés aujourd’hui en routine, autant dans l’industrie que dans le monde académique. Ils sont un guide précieux d’analyse et de corrélation des séries stratigraphiques. On lui doit notamment d’être le premier à avoir assumé, malgré maintes critiques, aussi bien du monde de l’industrie que du milieu académique, que les réflecteurs sismiques n’étaient généralement pas des limites lithologiques mais correspondaient en fait à des lignes temps, et que de l’analyse de leurs relations géométriques on pouvait déduire l’architecture des cycles stratigraphiques, dont le synchronisme global l’amena à assumer une origine glacio-eustatique pour les cycles de moyenne fréquence. Même si ce déterminisme purement glacio-esustatique qu’il défendait est toujours challengé…
Il a été honoré un très grand nombre de fois en recevant en 2005 la Médaille Benjamin Franklin décerné par l’Institut Franklin, du Musée des Sciences de Philadelphie pour ses travaux de pionner sur la stratigraphie séquentielle. Il a aussi reçu de l’Institut Géologique Américain, le prix du Geo-scientiste de Légende, ainsi qu’en 2003, la médailles Penrose de la Geological Society of America. C’est l’AAPG qui l’a le plus honoré en lui décernant, en 1975 et 1976 le titre de Distinguished Educator, puis en 1979 le prix du Président, puis le Prix Sidney Power Memorial et, en 1981, le Matson Award pour le meilleur article. Il a aussi reçu la Médaille d’Or Virgil Kaufmann de la Society of Exploration Geophysicists en 1976 et la médaille Twenhofel de la Society of Economic Paleontologists and Mineralogists (SEPM), ainsi qu’un prix d’Excellence Individuel par l’Offshore Technology Conference.
En 1978, Peter a été William Smith conférencier pour la Geological Society of London, dont il était membre honoraire, ainsi que pour la Geological Society of America, et pour l’American Association for the Advancement of Science. Il était aussi membre de la Gulf Coast Section of the Society for Sedimentary Geology, the Society of Exploration Geophysicists, et de la Houston Geophysical Society. Il était enfin membre de l’American Geophysical Union, et de l’American Geological Institute.
A ses côtés on était fasciné par l’étendu de sa culture et la simplicité de contact qu’il avait avec tout le monde. Et en cas de désaccord, il disait : « in my experience » pour laisser comme il se doit la place au doute.
Je le revois sur un affleurement de l’Hauterivien indiquant à Robert Busnardo où, selon lui, devait se trouver une ammonite de la base de l’Hauterivien, que ce dernier n’avait jamais trouvé jusqu’alors, mais qu’il trouva en suivant la suggestion de Peter, et qui en conclut qu’il devait y avoir de la « magie »…
Je le revois aussi en 1989 et en 1990 travaillant avec certains de mes collègues sur l’Indonésie et l’Inde et leur indiquant sur la sismique, de but en blanc, l’âge de certains marqueurs que ces derniers un peu méfiants ce sont empressés de contrôler avec les puits en « sautant le déjeuner » pour conclure à son retour qu’il avait raison !
Je crois que l’on ne mesure pas encore tout l’impact qu’aura eu Peter Vail, non seulement dans son domaine mais aussi dans les Géosciences en général. Pour moi, sa contribution à la stratigraphie est une des deux innovations majeures du XXème siècle, d’importance comparable à celle de la Tectonique des plaques et, pour plagier le site de la Rice University, qu’il laissera une marque indélébile pour notre compréhension de la l’histoire géologique de la Terre. »
Jean-Loup Rubino
Sorbonne University
Quelques références
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Liens
https://www.youtube.com/watch?v=rxsB8WPzKMg
