Médaille ASF 2024 : l’interview de Jean-François Deconinck en exclu !

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Médaille ASF 2024 : l’interview de Jean-François Deconinck en exclu !

Professeur émérite à l’Université de Bourgogne, Jean-François Deconinck a reçu cette année la médaille de l’ASF, qui vient couronner une longue carrière de sédimentologue spécialiste de la sédimentation et de la diagenèse des minéraux argileux, qui a commencé à Lille en 1984.

Lors de la remise de médaille, Emmanuelle Vennin (trésorière de l’ASF et collègue de Jean-François) et Thierry Mulder (ancien président de l’ASF) ont également beaucoup insisté sur l’implication de Jean-François pour la communauté des Sédimentologistes et plus largement pour les géosciences !

Dans le prolongement de la remise de médaille et d’une excursion spéciale  » Jurassique supérieur du Boulonnais « , que Jean-François connaît par cœur, notre reporter spécial Robin Havas (RH) a réalisé une interview du Grand Maître des Argiles (JFD), que nous avons le plaisir de retranscrire ici :

 

RH : Comment est-ce que tu as pensé à cette excursion, pourquoi nous as-tu emmené là-bas ?

JFD : Alors, on m’a plus demandé de la faire que je ne l’ai proposé, parce que je l’ai faite très souvent, c’est une coupe sur laquelle j’ai travaillé depuis 42 ans (😎), donc on me sollicite régulièrement pour organiser une excursion. Pour l’ASF je l’avais déjà faite en 1993, et je l’ai fait régulièrement pour d’autres associations, pour les profs de classes prépa, dans le cadre d’Euro Clay, pour la société géologique du nord, etc.

RH : Et est-elle toujours faite par les étudiants, et d’autres MCF de Lille ?

JFD : Ah oui, alors non seulement de Lille, mais aussi de Paris, je crois que les gens de Bruxelles et de Lièges y vont, parce qu’en Belgique ça n’affleure pas beaucoup.

RH : Des anglais peut-être ?

JFD : Alors moi j’ai piloté des anglais, Stephen Hesselbo (U. of Exeter), Hugh Jenkyns (U. of Oxford), que j’avais piloté il y a longtemps, donc oui oui, il y a des anglais qui viennent, et qui publient sur cette coupe d’ailleurs.

RH : Et ce qu’ils ont pu soumettre des interprétations qui divergeaient, à partir de cet affleurement ou de ceux qu’ils ont chez eux ? Pas eu de guéguerre ?

JFD : Ah non non, pas fondamentalement, ils ont apporté des précisions mais il n’y a pas eu de conflits sur cette coupe. En fait c’est une coupe qui est très pédagogique, les faciès sont clairs, il n’y a plus de discussions à avoir finalement, on voit très bien les tempêtes, on voit les argiles off-shore, on voit les argiles riches en MO, etc. Après on peut discuter s’il y a du tidal, quelle profondeur d’eau, etc. mais pas de conflit réel.

RH : Si tu devais la réétudier mais avec une méthode plus moderne, qu’est-ce que ça serait ?

JFD : Alors en fait, ça n’est pas une méthode plus moderne, mais ce qui manque fondamentalement sur cette coupe, c’est un calage stratigraphique plus précis, ça on ne l’a pas, parce que les fossiles ne sont pas suffisamment abondants et bien préservés, notamment les ammonites. Ce que j’aimerais – que j’essaye d’ailleurs de mettre en place – c’est une étude magnétostratigraphique, avec des prélèvements magnéto sur l’ensemble de la coupe, couplant magnéto-, chimio-, et bio-stratigraphie. En fait ce qui manque sur cette coupe, c’est que pendant très longtemps elle a été étudiée d’un point de vue litho, biostrati, mais il manque en effet des méthodes un peu plus modernes de caractérisation. Mais je ne suis pas toujours optimiste sur les résultats qu’on va avoir. Et puis un inconvénient de cette coupe c’est que y’a beaucoup de lacunes, beaucoup de niveaux condensés, donc il manque beaucoup de temps…

RH : Et des forages plus loin pour essayer de retrouver ces niveaux, pour essayer de recaler tout ça ?

JFD : Ce qui serait bien peut-être c’est de faire un forage à l’intérieur du Boulonnais, parce que l’inconvénient avec la coupe le long de la falaise c’est qu’elle est parallèle au paléo-rivage, donc on est toujours un peu dans les mêmes faciès, donc effectivement si on pouvait faire un forage plus vers l’intérieur ça pourrait être intéressant.

Maintenant, c’est très difficile à justifier, de dépenser 1 ou 2 millions d’euro pour faire un forage là…

RH : Comment est étudiée cette transition Kimméridgien-Tithonien ailleurs dans le monde ?

JFD : En ce moment c’est pas mal étudié dans le bassin de Neuquén (Argentine) par exemple. Après tout ça affleure aussi en Téthys, mais là c’est complètement carbonaté cet intervalle, avec beaucoup de resédimentation. C’est étudié dans pas mal d’endroits ailleurs. Mais ce qu’il y a de bien ici, c’est qu’on est dans un système silico-clastique, à proximité d’un continent (le massif Londres-Brabant), intéressant notamment par comparaison avec la Kimmeridge Clay et parce que c’est très monotone dans les enregistrements côté anglais.

RH : Alors deux dernières questions : est ce qu’il t’est arrivé des anecdotes particulières sur tous ces terrains que tu as fait là-bas ?

JFD : Alors une anecdote, euh, oui… en fait j’avais prévu avec des étudiants (de M2) de descendre au Cap de la Crèche, et ce que je faisais d’habitude c’était de remonter le long des falaises, et on était descendu mais la marrée montait, mais je m’étais dit que ce n’était pas grave puisque je remontais le long des falaises. La marée montait, mais le problème que je n’avais pas prévu, en remontant le long des falaises, c’est qu’on est tombé dans l’argile ! Il avait énormément plu les jours précédents. Impossible de remonter. Il a fallu redescendre, mais la marée montait… et donc heureusement on a pu trouver des cordes, et on a pu tirer les étudiants avec pour les remonter.

Alors on avait pas de l’eau jusque-là hein (montrant son bassin), mais ça commençait à sérieusement monter et on ne pouvait plus passer par l’escalier emprunté initialement… donc on a pris une corde et on est passés par l’autre côté.

RH : Un peu stressant en tant qu’encadrant ? Un peu flippant j’imagine.

JFD : Ah oui oui oui, un peu (😅) je m’en souviens encore ! Donc un peu flippant oui. C’est pour ça que je suis très très vigilent sur la marée.

RH : Tu étais jeune prof à l’époque ?

JFD : J’étais prof oui, j’avais environ 35 ans, ca devait être en 95.

(RH) … 🤔 Mon année de naissance…        

JFD : Et sinon les anecdotes c’est le genre de météo qu’on a eu aujourd’hui quoi… (en effet une bonne rinsade !). Quand on levait les coupes avec Jean-Noël Proust, qu’on voyait arriver le nuage au fond… Comme aujourd’hui, quand on est sorti du bus, je me suis dit « flûte » c’est tout noir, et craque (si je résume : le tonnerre, « quelques » gouttes et un peu de grêle).

 

RH :  Pour finir, question terroir, qu’est-ce qu’on boit et mange de local ici ?

JFD : Il y a du local ici, il y a des bières, des fromages, … Alors il faut aller à Audresselles, le petit bled où on a pris la flotte, pleins de petits restaurants où tu vas manger des moules, des harengs, … Ils font la fête du hareng à Audresselles, barbecue sur la place et tu vas manger tes harengs, c’est assez typique !

 

RH : C’était les recos de Decos ! Merci beaucoup Jean-François !

 

La lettre ASF

N°24 – Avril 2024

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